La Turquie s’est retirée, vendredi, du traité qui oblige les gouvernements à adopter une législation réprimant les violences domestiques et autres abus du même ordre, y compris le viol conjugal et la mutilation génitale féminine.
Kadıköy’de İstabul Sözleşmesi’nden çıkılmasını protesto eden kadınlar, kadın cinayetlerinde katledilen kadınların isimlerini haykırdı
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— Evrensel Gazetesi (@evrenselgzt) March 20, 2021
Plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi 20 mars en Turquie pour demander au président, Recep Tayyip Erdogan, de revenir sur sa décision de retirer le pays du traité garantissant la lutte contre les violences infligées aux femmes. Dans un décret publié dans la nuit de vendredi à samedi, le chef de l’Etat turc a ainsi annoncé que la Turquie ne ferait dorénavant plus partie de la Convention d’Istanbul, premier traité international à fixer des normes juridiquement contraignantes dans une trentaine de pays pour prévenir les violences sexistes, et qui contraint les gouvernements à adopter une législation réprimant les violences domestiques et autres abus du même ordre – comme le viol conjugal et la mutilation génitale féminine.
« Annule ta décision, applique le traité ! », ont scandé samedi des milliers de femmes et d’hommes réunis dans le district de Kadiköy, à Istanbul. Les manifestants brandissaient des portraits de femmes assassinées ainsi que des pancartes sur lesquelles on pouvait entre autres lire : « Ce sont les femmes qui gagneront cette guerre. »
« J’en ai marre de cet Etat patriarcal. J’en ai marre de ne pas me sentir en sécurité. Ca suffit ! », a déclaré Banu, l’une des manifestantes, à l’Agence-France Presse. D’autres rassemblements, plus modestes, ont également eu lieu à Ankara (centre) et à Izmir (ouest), rapportent les médias.
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After a long campaign of misogyny and anti-LGBTI hate, #Turkey withdraws from #IstanbulConvention on combating violence against women by midnight presidential decree. Meanwhile, 77 women were killed in the first 78 days of this year. The government is complicit in their deaths. pic.twitter.com/0Uh9qU20x0
— Deniz Yüksel (@denizyuksel130) March 19, 2021
Au moins 300 féminicides en 2020
Le Parti républicain du peuple, principal parti d’opposition, a également critiqué cette décision. Gökçe Gökçen, sa vice-présidente chargée des droits humains, a déclaré que l’abandon de cette convention revenait à « laisser les femmes être tuées ». « Malgré vous et votre malfaisance, nous allons rester en vie et faire ressusciter la convention », a-t-elle écrit sur Twitter.
« Annoncer en pleine nuit le retrait de la convention d’Istanbul, alors que nous apprenons chaque jour que de nouvelles violences sont commises contre des femmes, a de quoi remplir d’amertume », a aussi déclaré le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, l’un des principaux rivaux de M. Erdogan. « Cela revient à piétiner la lutte que mènent les femmes depuis des années », a-t-il ajouté.
De son côté, le Conseil de l’Europe a regretté « une nouvelle dévastatrice » qui « compromet la protection des femmes » dans ce pays. « Voici le vrai visage du gouvernement turc actuel : mépris complet pour l’Etat de droit et recul total pour les droits humains », a dénoncé sur Twitter le rapporteur du Parlement européen vis-à-vis la Turquie, Nacho Sanchez Amor.
Cela « envoie un mauvais signal à l’Europe, mais surtout aux femmes turques », a estimé le ministère allemand des Affaires étrangères. « Ce recul des droits est préoccupant », a déploré le secrétaire d’Etat français aux affaires européennes, Clément Beaune.
Face à l’avalanche de critiques, le gouvernement a tenté de rassurer. La Constitution et la réglementation intérieure de la Turquie seront la « garantie des droits des femmes », a assuré Zehra Zümrüt Selçuk, ministre de la famille, du travail et des services sociaux, selon l’agence de presse officielle Anatolie.
Début mars, le pays avait été secoué par la publication d’une vidéo montrant un homme frappant son ex-femme au sol en pleine rue sous les yeux de leur fillette. L’agresseur avait été arrêté, et le président Erdogan avait annoncé la création d’une commission parlementaire pour faire un état des lieux de la législation, afin de mieux lutter contre les violences. En dépit de ces déclarations, les associations de défense des droits des femmes accusaient déjà le gouvernement de ne pas appliquer avec assez de fermeté les lois qui existantes, ce qui selon elles encourage le sentiment d’impunité. Trois cents femmes au moins sont mortes sous les coups de leur conjoint en Turquie l’année dernière, selon le groupe de défense des droits We Will Stop Femicide.
Recep Tayyip Erdogan avait pour la première fois évoqué un abandon de la Convention d’Istanbul l’an dernier, dans une tentative de rallier à lui l’électorat conservateur, que les difficultés économiques croissantes ont plongé dans le doute à l’égard du chef de l’Etat. Les conservateurs turcs se plaignaient en effet du fait que la charte nuisait à l’unité familiale, encourageait le divorce et que ses références à l’égalité étaient utilisées par la communauté LGBT pour être mieux acceptée dans la société. La Turquie avait débattu d’un éventuel retrait de cette convention, après qu’un responsable du parti islamo-conservateur au pouvoir, l’AKP, eut l’an passé suggéré l’abandon du traité.
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« La Convention d’Istanbul sauve des vies », par YAK, 4/12/2020
Photo Meltem Akyol/Evrensel
“Application de la Loi 6284 !” – À la suite de la ratification de la Convention d’Istanbul, l’entrée en vigueur en 2012 de la loi n°6284 sur la protection de la famille et la prévention de la violence à l’égard des femmes, principal texte législatif de la Turquie sur la violence à l’égard des femmes, a marqué une avancée majeure dans la lutte contre ce phénomène
“Qu’est-ce qui vous fait peur dans la Convention d’Istanbul ?”
“Nous ne renonçons pas à nos droits et à nos vies !”
Vous poussez les femmes de ce pays à dire “Ne nous tuez plus”
« La Convention d’Istanbul sauve des vies »
“Nous n’avons pas peur de désobéir” : variante du slogan féministe “Susmuyoruz, korkmuyoruz, itaat etmiyoruz” = “On ne se tait pas, on n’a pas peur, on n’obéit pas”
Photos Eylem Nazlıer/Evrensel